jeudi 30 octobre 2008

Avez-vous dit ergogenique ? 5e partie "Mon culturiste m'a dit..."

Par Jean-Yves Dionne, BSc PharmSuppléments

« Mon culturiste m’a dit… »

Pour cette chronique de la série sur les suppléments ergogéniques, je suis allé visiter un culturiste/entraîneur personnel pour connaître les principaux suppléments et substances qu’il utilise et recommande. Ce monde « interlope » de substances dans la zone grise (même noire) est particulièrement fascinant. Les allégations d’anabolisant, d’inhibiteur de l’aromatase, de stimulant de la croissance musculaire, etc. sont légion mais la documentation, même in vitro, est amèrement déficiente sur les bases de données scientifiques comme Medline. Il m’a donc fallu utiliser mes talents de fin limier J pour la trouver (ou l’invalider)…

Pourquoi ai-je décidé de présenter ces produits à des lecteurs qui s’intéressent à la santé et qui, de toutes façons, n’en prendront jamais ? Simplement pour vous permettre de connaître leurs effets et d’être mieux informés sur les effets adverses potentiellement graves.

Inhibiteurs de la myostatine (Myostim, Myozap, etc.)

L’intérêt pour la myostatine débute lors de la constatation que, chez des bovins, l’inactivation génétique de cette protéine provoque une augmentation significative de la musculature. La myostatine a pour effet de limiter le développement de la musculature. Cette manipulation génétique a si bien fonctionné qu’on a donné le nom de « double musculature » à ces bovins.(1) Des chercheurs ont constaté que les polysaccharides sulfatés de l’algue Cystoseira canariensis pouvaient s’attacher in vitro à la myostatine et ainsi l’inactiver.(2) Par contre, cet effet n’est pas au rendez-vous lors d’une étude clinique contre placebo sur des volontaires sains.(3)

« Précurseurs anabolisants»

Les pro-hormones disponibles dans les gyms foisonnent. Chaque compagnie (toutes américaines) vante leur puissance anabolisante, leur incapacité à se transformer en œstrogènes (via l’aromatisation), leur biodisponibilité, etc. Lorsqu’on utilise la nomenclature des ingrédients utilisée sur les étiquettes pour faire des recherches de documentation Medline, on n’obtient que très peu de résultat.

« Une analyse poussée du contenu des gélules de 4-androstènediol et de 5-androstènediol a permis de mettre en évidence la présence de 19-norandrostènediol et 19-norandrostènedione (Nandrolone ou anabolisant de synthèse) en quantités faibles mais suffisantes pour obtenir les métabolites urinaires NA et NE à des concentrations largement supérieures aux niveaux physiologiques. Il en découle que ces gélules non pures feront de leurs utilisateurs des cas positifs lors d’un contrôle antidopage. »(4) Donc, au dire de ces chercheurs impliqués dans la lutte anti-dopage, les produits que l’on prétend être des précurseurs de testostérone et autres stéroïdes anabolisants « naturels » pourraient contenir des anabolisants de synthèse. Donc, ici comme ailleurs, si ça semble trop beau pour être vrai… C’est probablement trop beau pour être vrai… il y a anguille sous roche

L’élément le plus paradoxal de tout dans le dossier des stéroïdes est que l’effet constaté est souvent l’inverse de celui recherché. En effet, l’androstènedione et ses dérivés semblent causer une augmentation de la testostérone virilisante chez la femme(5) (donc des poils, des changements de la voix, etc.) et une augmentation des œstrogènes chez l’homme(6) (donc, des seins, une prise de poids, des troubles érectiles, etc.). En mars 2004, la FDA annonçait qu’elle commençait une campagne pour empêcher la vente des suppléments stéroïdiens de type androstènedione.(7) Cette campagne est loin de montrer les résultats escomptés sur les tablettes des gyms que j’ai visités.

Les effets secondaires potentiellement toxiques des anabolisants dits « naturels » ou synthétiques sont multiples. En voici les principaux :

Effets secondaires des anabolisants

Acné/séborrhée

Hirsutisme

Calvitie type masculin

Voix plus grave (hypertrophie laryngée)

Altération du cycle menstruel

Atrophie testiculaire

Réduction des HDL-C

Agressivité

Oedème

Apnée du sommeil

Troubles hépatiques incluant cancer et cirrhose

Altération de la coagulation; hypercoagulabilité

Gynécomastie

Impuissance

Hyperplasie endométriale

Intolérance au glucose/diabète

Hypertriglycéridémie

Épilepsie

Migraine

Fermeture prématurée des plaques de croissance osseuse

Puberté précoce

Personnellement, les effets qui me préoccupent le plus sont les effets pervers chez les jeunes. Par exemple, un adolescent qui consomme des anabolisants subira un arrêt de croissance. De plus, les effets métaboliques hépatiques et les autres effets toxiques à long terme, aussi graves soient-ils, n’inquiètent généralement pas les utilisateurs qui souffrent tous du « syndrome Superman » (ils sont convaincus que ça ne leur arrivera jamais!).

Les inhibiteurs de l’aromatase

L’enzyme aromatase transforme la testostérone en œstrogènes. Cette enzyme est naturellement présente dans les tissus du corps des hommes et des femmes. Les inhibiteurs de l’enzyme aromatase sont utilisés pour (théoriquement) réduire les effets oestrogéniques (comme la gynécomastie, c’est à dire l’apparition de sein chez un homme) et augmenter l’effet anabolisant des substances anabolisantes. Les principaux inhibiteurs vendus sont : 4-OH Androstènedione, 17aMethyl-5a-Androstandiol et Delta-4-10,13-diméthyl-cyclopenta(a)phenantrène-3-6 17 trione alias 6-OXO.(8-10) La documentation classe effectivement ces divers produits comme des inhibiteurs de l’aromatase. Par contre, le résultat recherché, celui de réduire les effets oestrogéniques des anabolisants, repose plus sur la théorie que sur la clinique. Bref, ici aussi à éviter.

Conclusion

Des données troublantes montrent que même des suppléments qui ne sont pas vendus comme anabolisants peuvent contenir des stéroïdes anabolisants sans que ceux-ci soient mentionnés sur l’étiquette.(11) Il est donc important de rester à l’affût lorsque des effets « non prévisibles » se présentent chez le sportif utilisateur. Qui plus est, les utilisateurs de ces substances peuvent en devenir dépendants (addictive) parce que les stéroïdes exercent aussi une action au niveau de la dopamine.(12)

De plus, les utilisateurs n’ont pas tendance à se confier aux professionnels de la santé parce qu’ils considèrent que ceux-ci n’y connaissent rien.(13) Ils se fient plutôt à leur entraîneur ou à leur confrère culturiste qu’ils croient compétent en la matière. Il faut donc user de toutes nos capacités d’écoute et de communication.

Mais, définitivement, l’aspect le plus alarmant de tout ce débat sur les produits dopants est reflété par cette petite phrase entendue dans un gym : « Si tu veux des résultats, il faut accepter les effets secondaires ! »

Références :

1. Martyn JK, Bass JJ, Oldham JM. Skeletal muscle development in normal and double-muscled cattle. Anat Rec. 2004 Nov 5;281A(2):1363-1371 [Epub ahead of print]

2. Ramazanov, Z, Jimenez del Rio, M, and T Ziegenfuss. Sulfated polysaccharides of brown seaweed Cystoseira canariensis bind to serum myostatin protein. Acta Physiol Pharmacol Bulg 27(2-3):101-106, 2003

3. Willoughby DS. Effects of an alleged myostatin-binding supplement and heavy resistance training on serum myostatin, muscle strength and mass, and body composition. Int J Sport Nutr Exerc Metab. 2004 Aug;14(4):461-72.

4. Pepin G, Vayssette F, Gaillard Y. À propos des métabolites de la Nandrolone dans les contrôles urinaires antidopage. Ann Pharm Fr. 2001 Sep;59(5):345-9.

5. Brown GA, Dewey JC, Brunkhorst JA, et al. Changes in serum testosterone and estradiol concentrations following acute androstenedione ingestion in young women. Horm Metab Res. 2004 Jan;36(1):62-6.

6. Ballantyne CS, Phillips SM, MacDonald JR et al. The acute effects of androstenedione supplementation in healthy young males. Can J Appl Physiol 2000 Feb;25(1):68-78.

7. FDA White Paper Health Effects of Androstenedione March 11, 2004 http://www.fda.gov/oc/whitepapers/andro.html

8. Hartmann RW, Bayer H, Grun G, et al. Pyridyl-substituted tetrahydrocyclopropa[a]naphthalenes: highly active and selective inhibitors of P450 arom. J Med Chem. 1995 Jun 9;38(12):2103-11.

9. Dehal SS, Brodie AM, Kupfer D. The aromatase inactivator 4-hydroxyandrostenedione (4-OH-A) inhibits tamoxifen metabolism by rat hepatic cytochrome P-450 3A: potential for drug-drug interaction of tamoxifen and 4-OH-A in combined anti-breast cancer therapy. Drug Metab Dispos. 1999 Mar;27(3):389-94.

10. Hartmann RW, Bayer H, Grun G. Aromatase inhibitors. Syntheses and structure-activity studies of novel pyridyl-substituted indanones, indans, and tetralins. J Med Chem. 1994 Apr 29;37(9):1275-81.

11. Parr MK, Geyer H, Reinhart U, Schanzer W. Analytical strategies for the detection of non-labelled anabolic androgenic steroids in nutritional supplements. Food Addit Contam. 2004 Jul;21(7):632-40.

12. Wood RI. Reinforcing aspects of androgens. Physiol Behav. 2004 Nov 15;83(2):279-89.

13. Pope HG, Kanayama G, Ionescu-Pioggia M, Hudson JI. Anabolic steroid users' attitudes towards physicians. Addiction. 2004 Sep;99(9):1189-94.

© Copyright à Jean-Yves Dionne - InfoNaturel.ca - Le 30 octobre 2008

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