Par Jean-Yves Dionne
On nous endoctrine à prendre des suppléments de calcium. Pourtant, selon plusieurs auteurs, notre besoin en calcium n’est pas si grand que ce que les autorités prétendent.
L’apport nutritionnel recommandé et la dose efficace sont des sujets très controversés. Par exemple, en Amérique, Canada et USA, l’ANR (apport nutritionnel recommandé, ou la quantité que devrait contenir votre alimentation en une journée) pour un adulte est de 1200mg de calcium élémentaire par jour alors qu’il n’est que de 800mg par jour en Europe et dans plusieurs pays d’Asie.(8,9) Pourtant, la prévalence de l’ostéoporose (fréquence de l’apparition de cette condition dans la société) n’est pas affectée par cette différence d’apport… curieux n’est-ce pas ? À ce titre, des chercheurs ont montré qu’un apport de plus de 800mg de calcium (diète et suppléments inclus), n’entraînait aucun bénéfice supplémentaire sur le développement de la masse osseuse chez des jeunes femmes.(10)
Selon plusieurs auteurs comme Walter C. Willett, l’apport nutritionnel recommandé en calcium a été augmenté suite à des pressions politiques importantes des lobbys du lait (les producteurs laitiers du Canada et son homologue américain) pour qu’il soit pratiquement impossible d’obtenir cet apport sans consommer de lait et ses dérivés.(11,12) Ceci étant dit, parlons suppléments et un peu de chimie pour bien comprendre.
Suppléments
Le carbonate de calcium, le supplément le plus utilisé et le plus prescrit, n’est cependant pas le plus intéressant. Il est vrai que la molécule de carbonate de calcium est la plus riche en calcium élémentaire, puisqu’elle en contient 40%. *SUITE*
Le calcium élémentaire est la partie uniquement calcium (le minéral lui-même) par rapport au sel minéral qui lui contient aussi la fraction carbonate : Carbonate = 1 atomes de carbone + 3 atomes d’oxygène. Donc un carbonate de calcium contient 1 atome de calcium + 1 atomes de carbone + 3atomes d’oxygène. En chimie on écrit : CaCO3
La densité du carbonate permet donc de fabriquer des comprimés de 500mg et plus de calcium élémentaire, ce que les autres sels ne permettent pas. De plus, son prix est le plus bas de tous. Par contre, lorsqu’on parle de solubilité et de biodisponibilité (absorption et usage par le corps), le carbonate ne remporte pas la palme puisqu’il nécessite un pH stomacal très acide pour se dissoudre. Il semble d’ailleurs que les personnes âgées qui souffrent d’achlorhydrie (diminution de la sécrétion d’acide dans l’estomac qui peut être essentielle, c'est-à-dire sans cause connue, ou acquise par la prise de médicaments antiacides) ne puissent pas bénéficier du carbonate de calcium parce que ce dernier ne se dissout pas.(1,2) Certains auteurs affirment que les IPP (inhibiteur de la pompe à proton, les médicaments les plus efficaces pour réduire la production d’acide par l’estomac comme Losec, Nexium, Pariet, Pantoloc, etc.) n’affectent pas l’absorption du calcium mais la donnée à ce sujet est basée sur des études à court terme ayant évalué l’absorption du calcium alimentaire et non du carbonate.(3) Par contre, dans une étude sur la consommation à long terme de ces médicaments, on voit un lien très net entre la prise d’IPP et l’augmentation du nombre de fractures.(4)
Les autres sels de calcium
Les sels d’acides organiques (citrate, lactate, gluconate, malate, chélates d’acides aminés) ne sont pas affectés par cette variation d’acidité stomacale. Leur biodisponibilité semble également plus élevée (augmentation de 94% de l’absorption pour le citrate par rapport au carbonate chez la femme ménopausée (5)). Plus récemment, un nouveau sel, le formiate (formate en anglais), aurait démontré une absorption encore supérieure.(6)
La biodisponibilité du calcium est également fonction de la dose. En effet, une dose unique de 1000mg est moins bien absorbée (par un facteur de 60%) que cette même dose divisée en 3 ou 4 prises par jour.(7) Ainsi, l’excédent n’est pas absorbé et peut entraîner des effets secondaires comme de la constipation.
Absorption vs rétention du calcium
La vraie question n’est pas la quantité de calcium consommée mais plutôt la quantité de ce minéral et des autres qui se rendra au bon endroit et y sera retenu. Les produits laitiers représentent très certainement la source la plus riche en calcium dans l’alimentation des pays occidentaux. Par contre, la consommation de produits laitiers en abondance génère une plus grande quantité de déchets acides (urate, en particulier) dont le corps doit se départir. Ces déchets doivent être neutralisés à l’aide de minéraux alcalins (calcium, magnésium et potassium en particulier) pour ensuite être éliminés par voie rénale.(13) C’est ce que les naturopathes appellent l’acidification du terrain. Le PRAL (Potential Renal Acid Load) ou charge acide rénale, mesure l’élimination rénale de ces acides neutralisés. Plus un individu consomme de sources de déchets acides, plus son PRAL est élevé; plus il consomme d’aliments dits alcalinisants, comme les légumes verts, plus son PRAL est faible et mieux il conserve ses minéraux (voir à ce propos l’excellent argumentaire par Hélène Baribeau, nutritionniste, dans passeportsante.net(14)) Ainsi, quoiqu’ils représentent l’apport alimentaire le plus concentré en calcium, les produits laitiers en augmentent l’excrétion et l’effet final n’est pas nécessairement celui recherché. La théorie de l’équilibre acido-basique est une piste intéressante pour la cause de l’ostéoporose.(15)
À l’opposé, les légumes et aliments verts, et, à un moindre degré, tous les fruits et légumes, sont des sources moins concentrées en calcium mais qui ont l’avantage d’augmenter la capacité à conserver les minéraux, favorisant ainsi leur utilisation aux bons endroits. À titre d’exemple, plusieurs références ont montré un lien très significatif entre la densité osseuse et la consommation de fruits et légumes, et ce, à différents âges et pour les deux sexes.(16-18) Le mécanisme d’action n’est pas complètement élucidé mais le rôle du calcium passe ici en second plan. On pense que la capacité antioxydante, l’effet alcalinisant, le taux de vitamine K, etc. jouent tous des rôles importants dans le développement et le maintien de l’intégrité de la masse osseuse.(19)
Loin d’être complet, cet article se veut un regard critique sur le rôle du calcium, un « envers de la médaille » au message (incomplet lui aussi) véhiculé actuellement. Vous pouvez en apprendre d’avantage en lisant les résultats de mes recherches dans le livre « S.O.S. Os, des os solides à tout âge! » publié chez John Wiley’s disponible en janvier 2008.
Références
1. Champagne ET. Low gastric hydrochloric acid secretion and mineral bioavailability. Adv Exp Med Biol. 1989;249:173-84.
2. Wood RJ, Serfaty-Lacrosniere C. Gastric acidity, atrophic gastritis, and calcium absorption. Nutr Rev. 1992 Feb;50(2):33-40.
3. Serfaty-Lacrosniere C, Wood RJ, Voytko D, et al. Hypochlorhydria from short-term omeprazole treatment does not inhibit intestinal absorption of calcium, phosphorus, magnesium or zinc from food in humans. J Am Coll Nutr. 1995 Aug;14(4):364-8.
4. Long-term proton pump inhibitor therapy increases the risk for fractures. Rumour. Pharmacist’s letter Jan 05, 2007 http://www.naturaldatabase.com/
5. Heller HJ, Greer LG, Haynes SD, et al. Pharmacokinetic and pharmacodynamic comparison of two calcium supplements inpostmenopausal women. J Clin Pharmacol. 2000 Nov;40(11):1237-44.
6. Hanzlik RP, Fowler SC, Fisher DH. Relative bioavailability of calcium from calcium formate, calcium citrate, and calcium carbonate. J Pharmacol Exp Ther. 2005 Jun;313(3):1217-22. Epub 2005 Feb 25.
7. Heaney RP, Weaver CM, Fitzsimmons ML. Influence of calcium load on absorption fraction. J Bone Miner Res. 1990 Nov;5(11):1135-8.
8. Energy and Nutrient Intake in the European Union. Ann Nutr Metab 2004;48(suppl 2):1–16
9. Michael Gibney, chair. Nutrition & Diet for Healthy Lifestyles in Europe http://eurodiet.med.uoc.gr/
10. Barger-Lux MJ, Davies KM, Heaney RP. Calcium Supplementation Does Not Augment Bone Gain in Young Women Consuming Diets Moderately Low in Calcium. J. Nutr. 135: 2362–2366, 2005.
11. Campbell TC. RDA's: Time to Peel Back the Labels. The Nutritionadvocate.com Vol. 3, No. 9 - September 2005 http://www.nutritionadvocate.com/
12. Willett WC, Stampfer MJ. Rebuilding the Food Pyramid. Scientific American. December 17, 2002 (www.sciam.com )
13. Bushinsky DA. Acid-base imbalance and the skeleton. Eur J Nutr 2001;40:238–44.
14. Baribeau H, et Dumoulin L. L'indice PRAL http://www.passeportsante.net
15. Tucker KL, Hannan MT, Kiel DP. The acid-base hypothesis: diet and bone in the Framingham Osteoporosis Study. Eur J Nutr 2001;40:231–7.
16. McGartland CP, J Robson PJ, Murray LJ, et al. Fruit and vegetable consumption and bone mineral density: the Northern Ireland Young Hearts Project. Am J Clin Nutr 2004;80:1019 –2
17. Prynne CJ, Mishra GD, O’Connell MA, et al. Fruit and vegetable intakes and bone mineral status: a cross-sectional study in 5 age and sex cohorts. Am J Clin Nutr 2006;83:1420–8.
18. New SA, Robins SP, Campbell MK, et al. Dietary influences on bone mass and bone metabolism: further evidence of a positive link between fruit and vegetable consumption and bone health? Am J Clin Nutr 2000; 71:142–51.
19. Mühlbauer Rc, Lozano A, Reinli A, Wetli H. Various Selected Vegetables, Fruits, Mushrooms and Red Wine Residue Inhibit Bone Resorption in Rats. J Nutr 133: 3592–3597, 2003.
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