Par: Géraldyne Prevot Gigant, Psy - Auteur
"Rien ne console parce que rien ne remplace"
Pierre Assouline, Le Portrait - 2007
Le deuil est une étape que nous traversons tous au moins une fois dans notre vie. C’est une étape difficile et douloureuse. Pourtant c’est aussi une étape initiatique : nous en sortons toujours grandit et plus mature. Les deuils font partie de l’existence et contribuent à nous structurer. Le deuil ne concerne pas uniquement le décès d’un proche. On peut se sentir endeuillé suite à une rupture amoureuse ou à la perte d’un travail. Nous faisons constamment des deuils ; il s’agit là de « deuils-évènements ».
Les étapes du Deuil
Les personnes en deuil, expriment toutes ressentir comme une amputation ou un déchirement. Etre endeuillé, est comme perdre une partie de soi. Cette douleur sera ressentie quelle que soit la nature du lien : conflictuel ou non. Plus la relation a été forte, plus la douleur est intense. Et il n’y a pas de deuil sans souffrance. Nous réagissons tous différemment au deuil suivant notre personnalité cependant le processus se déroule par étape.
Les travaux d'Elisabeth Kübler-Ross[1] distinguent cinq étapes :
1 Le choc et le déni
2 La colère avec ou sans culpabilité
3 Le marchandage (plus présent chez les malades que les endeuillés)
4 La dépression
5 L’acceptation
Il y a cependant des variantes suivant les auteurs et nous pourrions résumer ainsi :
1 La sidération et le déni
2 La colère et la culpabilité
3 La tristesse ou dépression réactionnelle
4 L’accomplissement du deuil
La sidération et le déni
« C'est une véritable stupeur psychomotrice avec perte de tonus. Le système nerveux devient incapable de subir l'invasion. Cela se produit lors d'un événement brutal lorsque l'énergie libérée par les corticosurrénales ne trouve pas la voie de sortie : fuite ou attaque. Le sujet se fige brusquement, incapable du moindre mouvement. » Le temps se fige et la réalité semble loin. Comme dans un rêve, la personne sidérée se sent hors du temps. Le choc est trop fort, la personne ne peut pas croire ce qui vient de se passer. Cette première étape commence dès l’annonce du décès. La personne est choquée. Cette phase est présente chez tous les endeuillés. La sidération peut entrainer ensuite un déni de la mort du proche. La sidération est un court circuit face aux émotions trop fortes : comme une sorte de barrage permettant à l’information (et toute la charge émotionnelle) de circuler au compte goutte.
Plus la sidération est forte, plus le déni est puissant.
Le déni n’est pas forcément présent dans tous les deuils. En tout cas il est infime, jusqu’où ne sommes nous pas dans le déni sans le savoir. Le déni est le refus de reconnaître la réalité d’une situation traumatisante. On exprimera le déni avec, par exemple, une exclamation comme « Mais ce n’est pas vrai ! ». C’est ce qui peut se produire lorsque notre voiture tombe subitement en panne au pire moment : pendant quelques minutes, nous faisons tout pour la faire redémarrer puis, enfin, nous acceptons la réalité. Ceci, bien que très banal, représente un petit deuil évènementiel ; et on pourra remarquer comme, pendant quelques minutes, le déni s’est manifesté. Les rêves et les cauchemars font partie du processus de deuil. L’endeuillé va rêver du défunt au temps de son vivant : un dialogue devient possible. Le rêveur va enfin pouvoir dire ce qui n’a jamais été dit, son amour, ses regrets, sa culpabilité, son attachement.
Cependant cette étape peut aussi révéler le déni de l’endeuillé : le souhait qu’il y ait erreur, que le mort ne soit pas mort, qu’il reviendra, qu’il est juste parti en voyage. Le rêveur tente ainsi de nier la réalité. Puis l’endeuillé recherche la personne disparue. Il croit la sentir au réveil, dans ce demi-sommeil trompeur, pour ensuite constater le vide. Il croit la voir dans la rue, l’entendre dans la pièce à côté. Vient ensuite la peur de ne plus se souvenir de sa voix, de son visage, de son rire et de son parfum. Peur que les souvenirs ne s’évaporent comme un mirage. Peur de ne plus pouvoir se raccrocher à quoi que se soit. Alors l’endeuillé garde les objets, les photos, les lettres et les foulards : sur les foulards il y a un parfum, son parfum. L’endeuillé a soudain perdu l’être auquel il était attaché.
Matha, ce jour là, profitait de sa journée de RTT pour enfin s’occuper d’elle, prendre du repos. Son médecin lui avait conseillé de prendre soin d’elle car ces derniers temps avaient été difficiles pour elle. Son mari était hospitalisé depuis plusieurs semaines souffrant d’un cancer en phase terminale. Le téléphone sonna, Martha décrocha et appris le décès de son mari. Sans aucune émotion, elle raccrocha et reprit sa vaisselle comme si rien ne s’était passée. Elle rangea, nettoya puis se coucha. Le lendemain elle se leva comme tous les matins et partit travailler. Au bureau, elle ne parla pas de la perte de son mari et elle rentra le soir comme tous les soirs. Puis sa sœur, Françoise, lui téléphona ; Martha l’écouta toujours silencieuse. Sa sœur parla du décès. Martha n’exprima aucune émotion. Rien. Ce n’est que lorsque Françoise, inquiète, lui rendit visite que Martha s’effondrât.
Pendant tous ces jours, Martha était sous le choc et dans le déni. La visite de sa sœur puis les funérailles réveillèrent Martha de sa torpeur. C’est alors qu’elle sortit les photos de la boite jaunie et qu’elle garda auprès d’elle un mouchoir brodé, une chevalière et une montre. Ces quelques objets la rapprochaient de son mari. Elle resta longtemps seule afin de pouvoir replonger dans ses souvenirs. Ainsi elle se sentait un peu plus près de lui. Il paraissait moins loin.
Martha finit par s’habituer au vide : « j’ai appris à vivre avec l’absence ». Elle mit longtemps à se remettre de la mort de son mari. Elle fut bien entourée et c’est ce qui lui permit de franchir l’étape de la sidération et du déni. Si pour des raisons contextuelles, le travail de deuil ne peut se déclencher. L’endeuillé va alors refouler au fond de lui-même la mauvaise nouvelle, il se trouvera bloqué dans le déni et ne pourra traverser son deuil. Le chagrin apparaitra bien plus tard, telle une déferlante, lors d’un autre décès ou d’une séparation.
La colère et la culpabilité
C’est l’étape majeure du processus de deuil : elle indique que l’endeuillé avance dans son processus. L’individu va tenter de repousser au dehors de lui la réalité afin qu’elle ne le touche pas.
La colère est le signe que la vie est plus forte que l’attrait de la mort. C’est une véritable pulsion qui se manifeste en nous afin de nous maintenir en vie. Dans ce cadre la colère est une étape essentielle au deuil. Néanmoins elle ne doit pas se retourner contre l’endeuillé, elle doit être exprimée.
Claude est en colère. Son meilleur ami s’est tué dans un accident de voiture. Claude est en colère contre Marc pour sa conduite dangereuse depuis toujours. Il est en colère contre ce chauffard qui a commis l’imprudence qui a couté la vie à son ami. Il est colère contre la vie qui lui a retiré son ami et en colère aussi contre cette société qui ne protège pas assez. Claude ne décolère pas depuis plusieurs mois. Il refuse de prendre sa voiture et maudit les « inconscients qui conduisent en état d’ivresse ».
Il est en colère car il se sent abandonné par Marc. Ils n’ont pas eu le temps de se parler et Marc n’a pu lui dire au revoir. Ils devaient aller faire la fête quelques jours plus tôt. Claude, à présent, sort tout seul.
Il est triste, culpabilise et cela indique qu’il franchit les autres étapes du deuil.
Les mois s’écouleront et Claude sera un peu moins en colère jusqu’au jour où la douleur aura disparu.
Plutôt que « colère » on pourrait dire « révolte » car l’endeuillé se révolte plutôt fasse à l’inacceptable. Il lutte car il ne veut admettre l’inadmissible. Il ne veut pas renoncer, pas céder.
C’est aussi à cette étape que la culpabilité apparaît. C’est en fait une alternance entre colère et culpabilité ; ces deux états vont rythmer cette phase du deuil.
La culpabilité apparaît lorsque l’endeuillé n’a pu tout dire et notamment « Je t’aime » ou bien lorsqu’il n’a pu être présent au moment de la mort du proche. Ce sentiment qui ronge peut subsister dans le cœur pendant des années.
L’histoire qui liait les deux êtres peut accentuer la culpabilité de celui qui reste.
La personne qui reste peut culpabiliser d’avoir été soulagée au moment de l’annonce du décès d’une personne malade et souffrante.
La tristesse ou dépression réactionnelle
Ce sentiment va accompagner le deuil jusqu’au bout. Sorte de phase dépressive, la tristesse sera plus intense certains jours plus que d’autres. Un entourage soutenant et présent pourra apaiser un peu la douleur.
Cette dépression est consécutive à la réalisation que l’évènement est bien arrivé. Le proche est mort et ne reviendra pas. On ne lutte plus tout à fait, on se soumet à la dure réalité.
Cependant l’acceptation n’apparaît pas encore et l’inacceptation est bien le sentiment présent pendant cette phase dépressive.
L’endeuillé n’accepte toujours pas l’évènement. Il comprend que le défunt est mort mais c’est intolérable.
Durant cette phase l’endeuillé va peu à peu dire adieu.
Pour cela, il devra dépasser son sentiment de loyauté envers le défunt. Il devra accepter de se tourner vers l’avenir et continuer à vivre.
Il apprendra à oser vivre cette vie future sans avoir le sentiment d’abandonner le défunt. La fidélité ou plutôt le sentiment de loyauté entraîne une culpabilité à l’idée « d’abandonner » le défunt. C’est comme une pensée magique retenant le mort : « c’est comme si elle m’accompagnait : si je pense à elle, je lui reste fidèle et elle est toujours là près de moi ».
Plusieurs années après le décès de sa femme, André rencontre Anna. Une relation harmonieuse s’établit fondée sur l’amour et le respect. Cependant André refuse de se remarier : il se sent toujours lié à sa défunte épouse. Se marier avec Anna serait trahir sa femme.
André devra lentement faire le deuil de sa femme et accepter de la « laisser partir ». Il devra apprivoiser l’idée que continuer sa vie et épouser Anna n’est pas abandonner sa femme.
André vit dans un état dissociatif comme morcelé (une partie de lui est dans le passé, une autre dans le présent).
Il vit dans le présent mais retenu par le passé. Une sorte de lien invisible semble le retenir. Il vit dans un présent-passé.
Il devra peu à peu se tourner vers l’avenir : le présent-futur. Il affrontera le sentiment d’abandon, de culpabilité et de tristesse. Puis il comprendra que la vie doit continuer. Il devra choisir de se tourner vers l’avenir donc vers la vie.
L’accomplissement du deuil
Lorsque la personne qui reste peut regarder l’objet de sa tristesse sans être trop atteinte. Lorsqu’il n’y a plus de colère ni de culpabilité, on peut dire que le processus de deuil s’est achevé. Il restera une certaine tristesse mais la souffrance aura peu à peu disparue et l’endeuillé regardera vers l’avenir.
La mort d’un proche est comme une blessure, on souffre, on a mal.
Comme pour la cicatrisation d’une blessure il faut du temps. Le temps que la peau lance son processus de restructuration qui entrainera la totale cicatrisation de la blessure.
Pendant un certain temps la blessure sera à vif : le moindre frottement, la moindre brise nous fera souffrir.
A détour d’une rue, à l’écoute d’une musique ou à la vue d’un objet, les souvenirs referont surface avec leur lot de tristesses et de nostalgies.
Puis lentement la cicatrisation fera son œuvre et la plaie sera de moins en moins sensible.
Cette guérison se fera en fonction du rythme qui est le notre et aussi de notre histoire.
Plus tard il ne restera de notre douleur qu’une cicatrice qui, toujours sera là, comme pour nous rappeler d’où nous venons et ce que nous avons traversé. Porteur de cette marque de la vie, nous serons plus grands, matures et peut-être plus compréhensifs de la douleur d’autrui.
Accomplir son deuil c’est accepter et se tourner vers l’avenir.
Par : Géraldyne Prevot Gigant, Psy - Auteur| Consultez mon profil pour plus d'information.
Références / Bibliographie
• Accueillir la mort, Elisabeth Kubler Ross, Ed. Pocket
• La mort est un nouveau soleil, E. Kubler Ross, Ed. Pocket 2006
• Avant de se dire au revoir, E. Kubler Ross, Ed. Presse du Chatelet, 1999
• Les renoncements nécessaires, Judith Viorst Editions Robert Laffont
• La perte : tristesse et dépressions John Bowlby
• Deuils et Endeuillés, Alain de Broca, Ed. Masson
• Apprivoiser le deuil, Marie Ireland, Ed. Marabout
© Géraldyne Prévot – Psychopraticienne à Paris et Lisbonne. Auteur et Formatrice www.geraldyneprevot.com
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[1] Elisabeth Kübler-Ross (1926 - 2004), psychiatre et psychologue américaine, pionnière de l'approche des « soins palliatifs » pour les personnes en fin de vie et de l'accompagnement aux mourants. Elle a accompagné des milliers de personnes en fin de vie. En son honneur, le prix de recherche "Elisabeth Kübler-Ross" est décerné tous les deux ans par l'unité "Ethique et fin de vie" de l'Institut Universitaire Kurth Boesch à Sion en Suisse par le Professeur Charles-Henri Rapin.
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