mardi 21 septembre 2010

Légalisation du cannabis: un chaud débat

Certains sujets, comme la drogue et la religion, éveillent une réponse émotionnelle plus que rationnelle chez une majorité d’individus. Quand on parle de cannabis (pot ou marijuana),Cannabis Québec les esprits s’enflamment. Mais objectivement, lorsqu’on met de côté les anges et démons intérieurs, la légalisation du cannabis a peut-être plus d’avantages qu’on ne le pense. Prenons donc le temps de regarder la situation froidement, d’un point de vue à la fois social, thérapeutique et même économique.

D’un point de vue social, les deux plus grands problèmes reliés au cannabis sont le rôle du crime organisé dans sa culture et sa distribution, et son usage par les jeunes. D’un point de vue économique, les coûts engendrés pour combattre ces problèmes se chiffrent en millions de dollars, et le résultat ne peut être qualifié de rentable! Force est de constater que, malgré les efforts gigantesques consacrés à la lutte contre l’usage du cannabis (récréatif ou autre), sa consommation n’a pas diminué, bien au contraire.

L’histoire le démontre bien, la prohibition ne règle rien. Le cannabis est dans la même situation que l’était l’alcool au début du 20e siècle, à l’époque de la prohibition. Malgré les efforts de la police, la consommation d’alcool était autant, sinon plus importante à cette époque que maintenant. Et cette consommation était sous le contrôle du crime organisé. Fait historique, les grandes distilleries richissimes d’aujourd’hui sont propriétés des bootleggers de l’époque. De criminel à notable en une génération…

Donc, en se basant sur les leçons de l’histoire, la meilleure façon de diminuer l’implication du crime organisé n’est pas de décriminaliser du bout des lèvres, mais bien de légaliser. Évidemment, il n’est pas question de légaliser toutes les drogues simplement dans le but d’enrayer le crime organisé. Le cannabis est assurément un cas à part à cause de son utilité thérapeutique et de sa relative sécurité par rapport aux autres drogues.

Usage thérapeutique

L’efficacité thérapeutique du cannabis est observée par plusieurs professionnels et décriée par d’autres. Cependant, deux choses militent en sa faveur. D’une part, on constate que les patients qui utilisent le cannabis pour des douleurs chroniques vantent ses mérites et rapportent son efficacité, utilisation après utilisation. Même si le cannabis n’a fait l’objet d’aucune étude clinique très solide (usage illégal oblige), force est de constater qu’il doit avoir un effet au-delà du placebo (puisque l’effet placebo n’est que peu ou pas reproductible après 6 mois). D’autre part, il existe maintenant suffisamment de preuves pour valider une étude à grande échelle, et plusieurs mécanismes d’action ont déjà été élucidés.(1) Outre la douleur chronique, d’autres usages pourraient également faire l’objet d’études: effet anxiolytique (contre l’anxiété), somnifère, antispasmodique, etc. (voir Cannabis: à la fortune du pot pour plus d’information sur les usages thérapeutiques)

Innocuité

Le cannabis a l’avantage de ne causer que peu ou pas de dépendance. Côté toxicité, à l’exception des goudrons inhalés lorsqu’il est fumé, le cannabis est reconnu pour n’avoir que très peu de toxicité à long terme (bien sûr, je parle du cannabis, pas des substances qui peuvent y être ajoutées lorsqu’il est vendu sur le marché noir). D’ailleurs, cet effet toxique postulé n’est pas encore démontré puisqu’il n’y a pas eu, à ma connaissance, de cas de cancer associé à l’usage exclusif du cannabis. Je l’admets, cet argument est facétieux, mais il démontre tout de même que la toxicité connue des goudrons ne peut pas être associée directement à l’usage du cannabis parce que la dose, la fréquence, la concentration et même la composition ne sont pas les mêmes que celles du tabac.

Une loi bien pensée

Ceci dit, quoique la légalisation de l’usage et de la culture du cannabis soit, à mon sens, socialement plus saine, je ne prône pas pour autant une déréglementation débridée, sans aucun contrôle.

À l’instar des médicaments d’ordonnance, le cannabis doit être régi par une loi établissant un encadrement pour la distribution. Le modèle néerlandais (droit de fumer du cannabis dans les cafés qui en vendent) est intéressant, mais peu pratique, particulièrement dans le cadre d’un usage thérapeutique. Ma suggestion serait plutôt d’utiliser un réseau existant très bien structuré et habitué aux protocoles de contrôle: les pharmacies. Le pharmacien travaille quotidiennement avec des registres et des produits à usage restreint. Un système de distribution s’inspirant de celui des narcotiques de vente libre (qui, soit dit en passant, ne sont pas en vente libre aux États-Unis) et permettant de limiter l’usage chez les jeunes et de faciliter l’usage thérapeutique serait assez simple à imaginer.

Impact social

D’une part, la légalisation du cannabis devrait permettre de minimiser l’implication du crime organisé dans ce dossier. Il est bien évident que le fait de légaliser n’éliminera pas le crime organisé. De toute façon, tant que le commerce lucratif du cannabis avec nos voisins du Sud ne sera pas légalisé, le crime organisé canadien voudra sa part de cette source importante de revenus. D’autre part, si la production du cannabis est encadrée à l’aide d’une procédure et de licences de production pour des cultivateurs agréés avec des cahiers de charges et une traçabilité, il est clair que la production sera assainie et que les cultivateurs n’auront plus à vivre l’angoisse de se voir déposséder de leurs terres sous les menaces très réelles des criminels contre eux-mêmes ou leur famille.

Impact sur la qualité du cannabis

Même ceux qui considèrent que le cannabis est inoffensif sont conscients des problèmes de qualité reliés à l’achat du produit sur le marché noir. Comme il n’existe ni règlement ni contrôle, personne ne peut garantir la qualité, la pureté, ou la concentration du produit. La légalisation permettrait de contrôler la qualité du produit ainsi que les cultivars employés. L’extraction et la transformation pourraient être soumises aux bonnes pratiques manufacturières avec un contrôle de qualité adéquat. La sécurité du produit n’en serait qu’accrue.

De plus, la production du chanvre pour ses fibres de qualité et ses graines alimentaires serait facilitée. Les producteurs n’auraient plus à se battre pour démontrer l’usage qu’ils font de leur récolte. Le chanvre alimentaire, même s’il porte le même nom (Cannabis sativa) que le cannabis riche en THC, n’est pourtant pas du tout la même plante. En effet, le chanvre industriel ou alimentaire produit des plants de plusieurs mètres de haut alors que son cousin psychotrope est beaucoup plus petit.

Impact sur la consommation de drogues dures

Malgré des efforts importants de la part des diverses instances, les jeunes continuent de consommer du cannabis. Et cette consommation n’est pas sporadique, bien au contraire. Elle est même très répandue dans le milieu scolaire (polyvalentes, cégeps, etc.). Un des problèmes les plus alarmants reliés à cette consommation est le fait que, présentement, pour se procurer du cannabis, le jeune doive entrer en contact, de près ou de loin, avec le réseau du crime organisé. Une fois ce lien établi, le jeune a plus facilement accès aux autres denrées offertes par ce réseau.

En légalisant l’usage du cannabis, même en interdisant la vente aux mineurs, le jeune qui s’adonne à la consommation du pot n’aura pas à créer de lien avec le crime organisé. À l’instar de la cigarette et de l’alcool, le cannabis se retrouvera inévitablement chez certains jeunes. Mais, tout comme la société regorge de buveurs occasionnels qui ne sont pas alcooliques, la consommation de cannabis ne résulte pas nécessairement en une consommation de drogues dures. Il existe un lien, certes, mais il faut se poser la question à savoir si ce lien n’est pas plus dépendant du contact avec le réseau du crime organisé que de la consommation de cannabis comme telle.

Impact économique

La légalisation du cannabis aurait également un impact économique non négligeable. Le coût présentement engendré par la lutte contre le cannabis se transmuterait en une source de revenus pour l’État par la collecte de taxes et d’impôt sur les revenus maintenant légaux, donc déclarables. À mon avis, cette situation serait beaucoup plus saine et gérable que les efforts de la force policière qui ne servent, pour l’instant, qu’à augmenter les cotes d’écoutes des nouvelles.

Fumer ou ne pas fumer…

Tout le monde sait que fumer est nocif. En tant que citoyen conscientisé, il nous semble un peu aberrant d’endosser un traitement qui incite le patient à fumer. Malheureusement, les formules orales (comprimés ou autres) ne donnent pas les résultats attendus. L’explication en est toute simple: un produit inhalé a une plus grande vitesse d’absorption et un pic de concentration plus important qu’un comprimé. Ici encore, la légalisation du cannabis favoriserait la recherche et le développement de formes pharmaceutiques plus appropriées: vaporisateur sublingual, nasal, etc.

Tous ces arguments militent en faveur d’une légalisation et d’un encadrement du cannabis. Je ne prétends surtout pas avoir présenté toutes les facettes de ce complexe dossier, mais je crois que, tôt ou tard, on en viendra à légaliser la possession, l’usage, la culture et la distribution du cannabis.

En guise de conclusion, j’aimerais rappeler le changement qui s’est opéré dans la communauté pharmaceutique vers la fin des années ‘80. Autrefois, il était impensable de vendre ou de donner des seringues à un utilisateur de drogues illégales. Aujourd’hui, pourtant, la distribution de seringues neuves, et la collecte de seringues usées, est monnaie courante. Pourquoi? À cause d’un changement de point de vue. Auparavant, on ne voulait surtout pas encourager l’usage des drogues, donc on interdisait la vente des seringues. Puis, on a constaté que le fait d’empêcher la vente des seringues ne diminuait pas la consommation de drogues, mais favorisait l’utilisation de matériel souillé, alors que la distribution de matériel propre, sans encourager la consommation, diminuait les risques de contagion des maladies comme l’hépatite ou le VIH. La perception du problème s’est modifiée, passant d’un point de vue individuel à un point de vue social. Ne serait-il pas temps d’effectuer ce même changement de perspective pour le cannabis?

Référence:

1. Kumar RN, Chambers WA, Pertwee RG. Pharmacological actions and therapeutic uses of cannabis and cannabinoids. Anaesthesia 2001;56(11): 1059-68.

Par: Jean-Yves Dionne, B.Sc. Pharm.

www.InfoNaturel.ca le 8 septembre 2010 - Naturel

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